22 – LA TÊTE DE FANTÔMAS
Rose Coutureau n’était pas une méchante fille. À peine était-elle partie de chez son père sans écouter les lamentations du brave homme, qui, de plus en plus effaré par la mystérieuse succession d’événements récents, voulait s’opposer au départ de la maîtresse de Beaumôme, qu’elle avait senti naître en elle un remords d’autant plus pressant que, somme toute, les affaires s’arrangeaient.
Rose, en effet, avait eu d’autant plus d’envie de reprendre la vie commune avec Beaumôme qu’elle s’était dit que si jamais le vol commis au préjudice de la comtesse de Blangy devait avoir des conséquences fâcheuses, c’était encore dans la société des apaches qu’elle avait le plus de chances de pouvoir échapper aux recherches de la police.
Or, personne ne parlait plus du vol.
La grande Berthe elle-même avait été remise en liberté, en raison du désistement et du retrait de la plainte de Mme de Blangy, et si l’opinion s’occupait de la comtesse, c’était uniquement pour commenter sa mort affreuse d’une part, et l’extraordinaire habileté dont avait fait preuve Juve en l’expliquant.
Rassurée, grâce à tout cela, et de plus, voulant consoler son père qu’elle savait avoir désespéré en l’abandonnant, Rose Coutureau revint donc au domicile qu’elle avait quitté.
Mais là une surprise nouvelle l’attendait, une surprise qui la terrifiait : le père Coutureau avait disparu.
Rose, évidemment, ne pouvait pas se douter que son pauvre père était mort, tandis qu’il était aux mains de Fantômas. Toutefois, elle pressentait, se doutait presque que Fantômas ne devait pas être étranger à cette nouvelle disparition.
— Tout ça n’est pas clair, se disait-elle.
Et elle se lamentait encore, espérant toujours que le père Coutureau allait réapparaître d’un moment à l’autre, lorsqu’on frappa à la porte du petit logement.
Rose alla ouvrir. Elle se trouva en face d’un jeune homme qui se présenta lui-même avec une parfaite bonhomie :
— Ouvrez mademoiselle, ouvrez votre porte toute grande, ce n’est pas le diable qui vient vous voir, c’est tout bonnement Jérôme Fandor.
Le nom ne disait pas grand-chose à Rose Coutureau qui ne lisait que rarement le journal.
Toutefois, Fandor avait l’air si aimable, si bien disposé, qu’elle n’hésita pas davantage.
Rose Coutureau ouvrit la porte, qu’elle n’avait qu’entrebâillée jusqu’alors :
— Entrez, dit-elle. Qui venez-vous voir ici ?
— Dame, riposta Fandor, je crois bien que ce ne peut être que vous puisque votre père…
— Vous avez des nouvelles de mon père ?
On avait le matin même retrouvé le cadavre du père Coutureau jeté au bas du fossé des fortifications. Fandor le savait. Il comprit en une seconde que Rose Coutureau ignorait, au contraire, la mort tragique de son père.
— Non mademoiselle, déclara Fandor, je n’ai pas tout à fait des nouvelles de votre père, mais enfin je sais qu’il est tombé aux mains de Fantômas.
— De Fantômas ? Alors il ne lui arrivera rien de mal.
Pour le coup, Fandor se laissa choir sur une chaise et hochant la tête avec énervement :
— Ça c’est trop fort, pensait le journaliste. Le père Coutureau, l’autre jour, me jure que Fantômas est un petit saint, là-dessus Fantômas le zigouille. Maintenant, voilà que la fille va me vanter Fantômas et cela, alors que Fantômas a tout fait pour qu’elle passe aux yeux de la police pour complice de l’assassinat de lady Beltham. Mais qu’est-ce qu’ils ont donc tous à aimer Fantômas ?
Fandor ayant réfléchi, décida de brusquer les choses :
— Eh bien, déclara-t-il, moi, je ne suis pas de votre avis. Si votre papa est réellement aux mains du bandit, je crois, vous savez, que sa peau ne vaut pas cher.
Or, Rose Coutureau, à cette déclaration, paraissait tout aussi ébahie que Fandor l’avait été lorsqu’elle lui avait affirmé que Fantômas ne pouvait pas vouloir de mal aux vieux Coutureau.
— Monsieur, déclarait-elle, vous vous trompez certainement. Fantômas peut être un bandit pour beaucoup, mais moi, je ne peux pas le considérer autrement que comme un bienfaiteur. Savez-vous que sans lui…
— Ah bien, il est joli le bienfaiteur ! Ah, il est propre votre bienfaiteur !
Fandor grommelait, pris de colère, hésitant à révéler la vérité à la malheureuse Rose Coutureau.
Mais le journaliste n’avait vraiment pas le courage d’apprendre à la pauvre fille qui croyait son père en parfaite sûreté, que celui-ci était mort.
— Zut, pensa Fandor, les scènes de larmes, moi, ça me fait trop d’effet, et puis on sait toujours assez tôt les malheurs.
Il décida donc de ne rien dire. Malheureusement, si Fandor voulait être circonspect et ne point apprendre la sinistre nouvelle à Rose Coutureau, il lui fallait en même temps renoncer à questionner la jeune fille. Or, cela n’était pas commode.
Fandor qui était têtu, plus têtu que Juve si la chose était possible, s’était rendu au logis des Coutureau, avec l’intention bien arrêtée de pousser son enquête et d’apprendre là des détails qui ne pouvaient qu’être intéressants.
— Mademoiselle, reprit Fandor, c’est une erreur énorme que vous commettez en défendant Fantômas. Voyons, vous comprenez bien que c’est lui qui a tué lady Beltham, la comtesse de Blangy si vous préférez. Vous comprenez bien, dans ces conditions, que vous avez servi, si je ne me trompe, à effrayer lady Beltham, c’est-à-dire à la prévenir de l’arrivée d’une lettre annonçant sa mort. Vous allez être considérée comme complice.
Rose Coutureau ouvrit des yeux énormes. Comment ? Cela recommençait, cette histoire-là ?
— Mais, monsieur, disait la jeune fille, ce n’est pas Fantômas qui m’a envoyée chez Mme de Blangy. J’y suis allée de mon plein gré, et encore en me faisait passer pour ma mère.
— Possible, répliqua Fandor, mais qui me prouve à moi que ce n’est pas tout de même Fantômas qui vous a suggéré d’aller avenue Niel ?
Il n’y avait rien à répondre à cela, et Rose Coutureau le comprenait si bien qu’elle se taisait, haussant seulement les épaules d’un geste las et résigné :
— Que voulez-vous, monsieur ? je vous ai dit la vérité.
— En tout cas, reprit Fandor, si telle est la vérité, elle est fâcheuse pour vous, mademoiselle, car les pires soupçons retombent sur votre tête. Dans ces conditions comprenez-vous que Fantômas n’est pas un petit saint ?
— Je ne comprends rien, affirma Rose Coutureau.
— Alors, ça devient tout à fait clair, plaisanta Fandor. Mais laissons cela, qu’allez-vous faire ?
— Rien, monsieur ! Je suis au Théâtre Ornano, j’y joue comme petit rôle, je vais y rester, je n’ai pas l’intention de me cacher.
— Très bien, c’est courageux. Et votre papa ?
— Mon père, je pense qu’il va rentrer.
Il n’y avait pas moyen d’équivoquer plus longtemps. Fandor demanda :
— Vous l’aimiez beaucoup votre papa ?
— Comme cela, répondait Rose Coutureau, qui ne semblait pas éprouver de très grands sentiments d’affection pour l’auteur de ses jours.
— Comme cela n’est pas grand-chose, remarqua Fandor. Bah, ça vaut mieux…
— Cela vaut mieux ? pourquoi ?
— Ma pauvre petite, parce que…
Fandor allait parler, dire la mort du père Coutureau, il en fut empêché par Rose qui, comprenant ce que le journaliste lui avait caché jusqu’alors, éclatait soudain en sanglots :
— Papa est mort, s’écria la jeune fille. Ah mon Dieu, mais qui donc l’a tué ?
Et il arriva tout naturellement que devant l’explosion de cette douleur, le pauvre Jérôme Fandor perdit pied complètement, se troubla, et ne sachant plus que dire, mentit :
— Mais je ne vous ai pas dit que votre père est tué, bougre de nom d’un chien, grommela-t-il, je vous ai simplement dit que s’il est réellement aux mains de Fantômas, il y a de grandes chances pour que… Enfin. C’est-à-dire qu’il faut vous attendre…
Jérôme Fandor s’embarrassait de plus en plus et se demandait comment apprendre la sinistre vérité à la jeune fille qui, calmée par ses dénégations, le regardait maintenant étonnée, semblant ne rien comprendre à son attitude, lorsque soudain le journaliste se leva, renversa sa chaise avec violence :
— Qu’est-ce qui nous écoute ? demanda-t-il. Avez-vous entendu ?
Rose Coutureau, elle aussi, avait tressailli.
— On a marché, dit-elle.
Jérôme Fandor et la jeune fille se trouvaient à ce moment dans la pièce qui servait de salle à manger et qui était séparée par une sorte d’antichambre de la porte d’entrée du logement. C’est dans cette antichambre qu’ils avaient cru tous les deux entendre du bruit.
— Chut ! commanda Jérôme Fandor. Ne parlez pas.
Rose et lui prêtaient l’oreille, mais rien ne troublait plus le silence.
— Pourtant, commença Fandor, j’aurais juré…
Il n’acheva point.
Brusquement, alors que rien n’aurait pu faire prévoir la chose, la porte de la salle à manger s’ouvrit. Elle s’ouvrit avec tant de force que son battant venait heurter le mur.
Et, en même temps, un double cri s’échappa des lèvres de Rose Coutureau et de Jérôme Fandor. Dans l’encadrement de la porte, un homme venait d’apparaître. Cet homme portait un long manteau noir, qui enveloppait son corps des pieds à la tête, son visage était masqué par une cagoule noire, ses mains elles-mêmes étaient gantées de noir.
— Fantômas ! hurla Fandor.
C’était bien en effet, la silhouette tragique, la silhouette légendaire de l’homme aux Cents Visages. Elle était grande, cette silhouette, extraordinairement, elle demeurait immobile, impassible, et d’en dessous la cagoule, Fandor avait l’impression que des yeux étrangement perçants le dévisageaient. Alors, Fandor n’hésita plus, une colère subite d’une violence extraordinaire s’empara de lui.
C’était Fantômas qu’il voyait devant lui, et il y avait près de dix ans que Jérôme Fandor poursuivait implacablement le Maître de l’Effroi.
Le journaliste n’hésita pas. Il enfonça sa main dans la poche de son veston, et s’armant de son browning, tendant le bras, prenant à peine le temps d’ajuster, il fit feu, droit au front, pensant faire sauter la cervelle du terrible Maître de l’Effroi.
— Fantômas, avait crié Fandor, repens-toi !
La détonation du revolver, formidable, éclata dans le logement. Fandor eut juste le temps de voir, au milieu de la fumée, qu’il avait bien atteint le bandit, que la balle blindée de son browning s’était enfoncée à travers l’étoffe de la cagoule noire en plein front du misérable.
Le coup avait porté et l’homme ne tombait pas.
Déjà le bras de Fandor s’abaissait. Déjà, haletant, il reculait, ne sachant que croire devant la silhouette de Fantômas, qui demeurait debout, immobile, comme s’il n’avait pas été atteint.
Puis, ce fut plus rapide encore que l’éclair.
La scène brusquement changea. La silhouette immobile de Fantômas s’anima avec une effroyable rapidité. Fandor vit Fantômas s’élancer. Il n’eut pas le temps de se jeter de côté, un choc formidable le renversa, la tête du bandit venait de le heurter en pleine poitrine.
Fandor tomba à la renverse, à demi assommé, étouffé.
— Cette fois…, commença-t-il.
Puis, il ferma les yeux, des bourdonnements lui emplirent les oreilles, la douleur du coup l’empêchait de respirer. Il songea qu’il était mort, qu’il n’en valait guère mieux, en tout cas.
Trois minutes plus tard, Jérôme Fandor reprenait connaissance, il se rendait compte alors qu’il était couché sur le sol, le visage tourné vers le parquet et que le moindre mouvement lui était interdit. Il était étroitement ligoté.
Il prêta l’oreille, il entendit des bruits de voix qui paraissaient provenir de l’antichambre.
***
Au moment où Jérôme Fandor tombait, renversé par la brusque attaque de l’homme à la cagoule, Rose Coutureau avait laissé échapper un grand cri.
La jeune fille était terrifiée par la scène étrange qui se déroulait sous ses yeux. Déjà fort émue par la visite de Jérôme Fandor, torturée par l’angoisse qu’elle avait ressentie en s’entendant affirmer que son père était en mortel danger, elle avait pensé défaillir de stupéfaction en voyant s’ouvrir la porte de la salle à manger, en voyant apparaître Fantômas.
À ce moment, Fandor avait tiré, puis, Fantômas s’élançait.
Rose hurlait encore que le Maître de l’Épouvante s’approcha d’elle, menaçant :
— Viens ! ordonna le bandit.
Rose sentit qu’on l’empoignait par le bras, que Fantômas l’entraînait vers l’antichambre.
— Parle, ordonna Fantômas, que faisais-tu avec cet homme ?
— J’ai peur, râla Rose Coutureau. Pitié, je n’ai rien fait !
— Que te disait-il ?
— Que vous aviez mon père, que vous alliez le tuer.
À cette déclaration, Fantômas, visiblement, tressaillit :
— Allons donc, c’est vraiment cela que Fandor te disait ?
— Oui, et c’est pourquoi je vous demande… Oh je vous supplie…
— Tais-toi !
Fantômas parut réfléchir, puis il reprit :
— Que te disait au juste Jérôme Fandor à mon sujet ? Réponds, ou sans cela…
Dans la main gantée de noir s’agita, la lame effilée d’un poignard se mut au-dessus de la tête de Rose Coutureau.
Rose Coutureau était tombée à genoux. Terrorisée, elle râla :
— Mais je vous ai tout dit, je ne sais rien de plus ! Jérôme Fandor m’affirmait que vous me vouliez du mal, je lui soutenais le contraire, il ne croyait pas que vous m’aviez sauvée, et puis il me parlait de papa, de mon pauvre père…
— L’imbécile…
Fantômas venait d’éclater de rire. Il sembla hésiter un instant, puis il se pencha sur Rose Coutureau.
— Tu m’entends, ordonna-t-il, sous peine de mort, je te défends d’adresser une seule parole à Jérôme Fandor tout à l’heure. C’est compris, tu obéiras ? Tu te tairas ?
— Je me tairai.
Fantômas se releva.
Les fenêtres de l’antichambre dans laquelle il se trouvait communiquaient avec le toit, car l’appartement du père Coutureau était situé sous le zinc, à la hauteur des mansardes. Fantômas, d’un coup d’œil, terrifia encore la malheureuse Rose, puis ouvrit la fenêtre, posa le pied sur la gouttière et, comme il était venu, disparut.
Tout cela s’était fait si vite, il avait fallu si peu de temps à Fantômas pour interroger et terroriser la malheureuse Rose Coutureau, que celle-ci se relevait à peine, rentrait à peine dans la salle à manger, après que Jérôme Fandor fût revenu de son premier étourdissement.
Rose Coutureau était blême, livide.
Elle s’attendait à trouver Jérôme Fandor mort, elle ne savait pas au juste si Fantômas, au moment où il s’élançait sur le journaliste, ne lui avait point porté un coup de poignard.
Or, Jérôme Fandor, tout ligoté qu’il était, était déjà parvenu à se retourner, à s’asseoir sur son séant. Il accueillit l’arrivée de la jeune fille par une exclamation furieuse :
— Eh bien, il est propre, votre bienfaiteur ! Avez-vous compris, au moins, que c’était une sinistre crapule ? Mais ça ne fait rien, je l’ai démoli, je pense, il doit être blessé grièvement ?
Rose Coutureau ne répondit pas.
— Ah çà, continua Fandor, qu’est-ce que vous avez ? L’émotion vous a rendue muette ?
Il n’obtint pas davantage de réponse. Alors le journaliste s’emporta :
— Bougre de bon Dieu ! hurla-t-il. Si vous êtes la complice de Fantômas, dites-le-moi tout de suite, et si vous avez mission de me tuer, faites-le, mais dépêchez-vous !
Cette fois, Rose Coutureau, en dépit de sa promesse, répondit :
— Je ne suis pas la complice de Fantômas.
Mais ayant dit cela, elle parut épouvantée, et se tut de nouveau.
Jérôme Fandor, toutefois, comprenait de moins en moins ce qui se passait et ce qui pouvait motiver l’étrange attitude de la jeune fille :
— Alors, si vous n’êtes pas la complice de Fantômas, hurla le journaliste, aidez-moi à me délier. Si vous croyez que c’est agréable d’être réduit de cette façon à l’état de saucisson !
Sans un mot, toujours silencieuse, obstinément, Rose Coutureau s’empressa. Elle avait quelque peine à défaire les liens qui immobilisaient le malheureux Jérôme Fandor, mais cependant elle y parvenait. Peu après Jérôme Fandor était debout.
La secousse, toutefois, qui avait renversé le journaliste, avait été rude, Jérôme Fandor éprouvait quelque peine à s’en remettre.
Debout, il respira profondément à plusieurs reprises, dilatant ses poumons autant que cela lui était possible, puis, s’étant de la sorte assuré qu’il n’était pas mortellement blessé, en somme, il parut retrouver un peu de sa présence d’esprit.
Jérôme Fandor brusquement passa du calme à la fureur.
— Et alors, bon Dieu, jura-t-il en bondissant vers l’antichambre, où Fantômas a-t-il fichu le camp ?
Rose Coutureau avait accompagné le journaliste. La jeune fille marchait comme un automate, c’était comme un véritable automate qu’elle tendit le bras, montra le toit par où Fantômas s’était échappé.
Jérôme Fandor ne se méprit pas au geste :
— C’est par là que cette canaille s’est barrée, dit-il. Bon, très bien. J’imagine qu’il est maintenant absolument inutile d’essayer de le poursuivre, laissons cela. Dites donc, c’est lui qui vous a interdit de me répondre ?
Rose Coutureau hocha la tête affirmativement.
— Parfait. Dans ce cas, je ne vais pas éterniser la conversation, elle devient monotone.
Jérôme Fandor était presque disposé à s’en aller, pour aller prévenir Juve des aventures dont il venait d’être victime, lorsqu’il revint dans la salle à manger.
— Tout de même, dit-il en regardant Rose Coutureau dans les yeux, je suppose que vous avez bien vu si Fantômas était atteint. L’ai-je blessé ?
Imperceptiblement, la jeune fille hocha la tête négativement.
— Il ne saignait pas ? interrogea Fandor.
— Non.
— Bigre, reprenait-il, je lui avais bien pourtant envoyé mon marron en plein visage. Ça, c’est extraordinaire que je l’aie raté, de si près. Pourtant, s’il avait été touché…
Tout en causant, Jérôme Fandor inspecta les murs du logement, paraissant y chercher quelque chose.
— Ma balle a bien frappé quelque part, que diable ! Si elle n’est pas dans la tête de Fantômas, ce que je regrette infiniment, elle doit se trouver dans ce mur.
Et, de plus en plus soigneusement, Jérôme Fandor examina la muraille. Or soudain il poussa une exclamation :
— Çà, par exemple !
À la hauteur exacte où avait dû se trouver la tête de Fantômas, Jérôme Fandor venait de découvrir dans la cloison un petit trou rond dans lequel se trouvait encore la balle blindée de son revolver.
Mais ce n’était point cela qui était étonnant. Ce qui stupéfiait Fandor, c’est que la balle, en s’enfonçant dans la boiserie, avait entraîné avec elle une touffe de cheveux, arrachés probablement, forcément même à la chevelure du bandit.
Donc, le coup avait porté.
Et pourtant il n’y avait point de sang, les cheveux paraissaient avoir été arrachés, décollés sans qu’il y ait eu plaie à la tête.
— Je ne comprends pas, soliloqua Fandor, considérant toujours le trou de la boiserie. Si ma balle avait seulement effleuré la tête, elle n’aurait pas arraché de cheveux. Pour qu’il y ait des cheveux arrachés, il faut que la balle ait touché au moins le sommet du crâne. Dans ce cas, Fantômas aurait dû saigner abondamment et, de plus, je trouverais sous la balle des traces de sang.
À l’aide de son canif, le journaliste fit l’extraction du projectile, déformé, aplati, qui était venu s’enfoncer dans la muraille. Mais il eut beau l’examiner de près, il eut beau lui faire subir un examen minutieux, il ne pouvait retrouver sur lui aucune trace de sang, aucune trace de chair. Alors d’où provenaient les cheveux ? Comment avaient-ils été arrachés ?
La surprise du journaliste devait croître quelques instants plus tard. Comme, la balle extraite du mur, il regardait encore le petit trou qu’elle avait fait dans la boiserie, Jérôme Fandor aperçut à l’intérieur de ce petit trou un fragment de bois, de bois d’ébène qui avait été évidemment entraîné là par le projectile, puisque la cloison était de sapin.
— C’est plus fort que de jouer aux bouchons avec des pains à cacheter par un jour de grand vent [35], murmura Fandor qui avait retrouvé sa bonne humeur. Je tire sur un bonhomme, je lui traverse la tête, je lui arrache des cheveux, et ma balle qui, logiquement, devrait être ensanglantée, ramène un morceau de bois d’ébène : que diable, il n’avait pourtant pas la gueule de bois, Fantômas.
Fandor plaisantait, mais voilà que sa plaisanterie lui suggérait une idée :
— Ah mais, murmurait-il tout d’un coup, est-ce que par hasard j’aurais été victime d’un truc infernal ?
Jérôme Fandor se rappela la façon dont Fantômas lui était apparu dans l’encadrement de la porte.
Assurément, le bandit s’était placé volontairement ainsi. Fandor, en y réfléchissant, s’en convainquit de plus en plus, de telle sorte que, logiquement, c’était à la tête que le journaliste devait viser. Le reste du corps, en effet, disparaissait dans l’ombre.
— Fantômas a voulu que je fasse feu en plein visage, se disait le journaliste. Or, mon coup de feu en plein visage n’a eu aucun résultat. De plus, il m’a paru bien grand, Fantômas. Ma foi, je ne suis qu’un idiot de n’y avoir pas pensé plus vite. Je parierais ma main droite, que Fantômas, aujourd’hui, avait deux têtes. Sa tête véritable d’abord, cachée sous son manteau noir, puis une tête fausse, une tête en bois cachée par la cagoule. Ah parbleu, je pouvais bien lui lâcher les huit balles de mon browning dans la figure, il s’en moquait pas mal.
La découverte du truc qui avait permis à Fantômas d’échapper une fois de plus aux coups du journaliste, enfiévra Fandor d’une ardeur nouvelle :
— Ah mais, cria le journaliste, ça ne se passera pas comme ça ! Je pardonne à Fantômas le coup qu’il m’a donné, je ne lui pardonne pas de s’être payé ma tête. Il faut que j’avertisse Juve au plus vite. D’ailleurs, que venait-il faire ici ? Y reviendra-t-il ?
Brusquement, Jérôme Fandor se retourna vers Rose Coutureau qui, de plus en plus terrorisée, semblait-il, n’osait faire un mouvement et suivait des yeux les moindres gestes du journaliste.
— Mademoiselle, déclara Fandor, je m’en vais. Si vous n’avez rien à cacher, j’imagine qu’ainsi que vous me le disiez tout à l’heure, vous ne changerez rien à votre vie, et que par conséquent, si besoin en est, je vous retrouverai au théâtre. Si au contraire vous êtes coupable, ce que d’ailleurs je ne crois pas, tenez pour certain que ni Juve ni moi ne vous laisserons de répit. En tout cas, adieu, et méfiez-vous de Fantômas !
Fandor avait un peu la fièvre, était moins lucide que d’ordinaire. Peut-être commettait-il une grave imprudence en laissant en liberté Rose Coutureau. En tout cas, il avait grande hâte de revoir Juve. Il claqua la porte du logement, il dégringola l’escalier. Un fiacre passait, le journaliste y monta :
— À la Préfecture, ordonna Jérôme Fandor.